Femmes de Santé
Quel est votre projet ?
Quels ont été les obstacles rencontrés pour monter le projet ?
Les cancers tête et cou sont encore très stigmatisés : un grand nombre est lié à une dépendance à l’alcool ou au tabac et de plus en plus à une infection au papillomavirus, une maladie sexuellement transmissible. Dans ce contexte, il est difficile pour les patients d’exposer leur visage qui porte souvent les traces de la maladie. Il faut aussi assumer de dévoiler son histoire et potentiellement d’être jugé. Finalement, nous sommes 16 à nous être confiés à la caméra et les retours ont été très encourageants. L’effet cathartique s’est révélé bénéfique pour chacun d’entre nous.
Une autre difficulté à surmonter : le manque de moyens. Même si nous sommes très sollicités, nous sommes une poignée de bénévoles et nous donnons sans compter en jonglant entre traitement, séquelles, rééducation, reconstruction, famille et travail. Mais pour développer une telle campagne nous avons dû solliciter des professionnels. Heureusement, nous avons pu compter sur la confiance et le soutien de nos récents partenaires sans lesquels ce projet n’aurait jamais vu le jour. Cela aurait été bien dommage au regard de l’impact positif qu’il a eu.
Quels sont les enjeux actuels de la santé ?
Nous bénéficions d’un système de santé, solidaire avec des professionnels compétents et dévoués. Nous sous-estimons trop souvent cette chance. Cela étant, ce système est perfectible et beaucoup de pistes de progrès doivent être envisagées. En particulier en termes d’éducation, de communication et de moyens. La pandémie actuelle ne manque pas de l’illustrer.
Il est temps que l’on comprenne que la médecine n’est pas une science exacte. Nous devons accepter de ne pas avoir de réponse immédiate à chacune de nos questions en nous adaptant au rythme de la recherche. Nous évoluons dans une société de l’instant et avons tendance à exiger des réponses sur le champ. Mais dans un cas de crise, face à un virus que l’on ne connait pas, la précipitation se révèle dangereuse. On risque de tomber dans le piège du dogme en diffusant de fausses informations qui nous font perdre nos repères en engendrant des angoisses ou au contraire, de faux espoirs.
La santé est un enjeu vital mais on ne se donne pas les moyens de cet enjeu. Le plus criant est le manque de moyens humains. Les métiers de la santé, certes passionnants, sont difficiles, notamment du fait de la quantité de travail, de la difficulté de la tâche et aussi du poids des responsabilités. Ils ne sont pas assez valorisés. C’est valable pour l’ensemble des soignants qui manquent de plus en plus pour répondre aux besoins. L’accès aux soins devient compliqué pour grand nombre de patients. Attendre plusieurs mois pour avoir rendez-vous chez un spécialiste ou plusieurs semaines pour consulter son médecin généraliste engendre nécessairement des retards de diagnostic, une moindre observance des traitements, une automédication inappropriée etc. C’est un mauvais calcul car cet impact négatif se répercute tôt ou tard sur le budget de notre assurance maladie, bien plus fort que si l’on envisageait plus de moyens pour nos soignants. La médecine se pratique sur le long terme, il faut des choix plus judicieux en anticipant les investissements sur des décennies.
Et dans 10 ans, vous voyez ça comment ?
J’espère que l’on aura progressé au sujet de la « prise en charge globale ». Je n’aime pas le terme « prise en charge », cela nous renvoie à l’image de poids. Les patients culpabilisent déjà assez à cause de l’impact de leur maladie sur leur entourage. Ce qui me plait en revanche, c’est l’idée de globalité. Le patient n’est pas que celui qui porte une maladie, c’est une personne à part entière avec toutes les subtilités qui la composent. On soigne encore trop souvent la maladie sans prendre suffisamment en compte la qualité de vie. Il faut dire que c’est un exercice difficile pour les praticiens que d’allier l’expertise dans une spécialité tout en prenant en compte l’ensemble de la personne, du parcours de soin… dans un temps trop souvent limité par manque de moyens humains. Pourtant, l’humain on en a particulièrement besoin pour prendre soin des malades. Si seulement les patients partenaires étaient reconnus comme professionnels de santé pour mettre à profit leur expérience et participer pleinement au système de soin. Personnellement, je ne compte pas attendre 10 ans pour faire bouger les lignes à ce sujet !